mercredi 3 octobre 2018

7. À Propos de mes rêves

"Il n’y a que deux constantes dans la vie, la mort et les taxes." C’est une phrase qui est née d’une époque précise, particulière, et peu lointaine. Le monde d’aujourd’hui façonne notre esprit en autant de phrases similaires qui tentent de simplifier la réalité complexe qui nous entoure. Il nous est difficile d’imaginer d'autres modes de pensées, car tout ce que nous savons est filtré par les dispositions des rouages de notre cerveau (notre langage, notre culture, nos souvenirs). Notre vision des autres cultures, présentes, futures ou passées, sont le résultat d’un écran dénaturant dont on sous-estime l’impact.

L'ère post-industrielle ne nous laisse que peu de temps à consacrer à nos rêves, même s'ils sont une constante de la vie plus ancienne que les taxes et dont il est plus facile de parler que la mort. Les bébés rêvent, même dans le ventre de leur mère. De quoi rêvent-il? Nous n’en savons rien, mais leurs mouvements, leurs expressions, ou simplement les petits coups de pied sous la peau du ventre de la femme nous rappellent ceux de l’enfant, adulte ou vieillard en plein songe. Même s’il est difficile de se rappeler de ses rêves au réveil, tout nous indique que c’est une expérience universelle.


C’est en écrivant les rêves au matin qu’il devient facile de se les remémorer. Généralement, après quelques semaines sans me souvenir de mes rêves, quelques images de l’un d’entre eux survivront assez longtemps pour que je les note. Les jours suivant, je me souviendrai de plus en plus de détails de mes rêves et bientôt, chaque matin j’écrirai une ou deux pages sur mes histoires nocturnes.

Puis, un matin, peut-être que je me réveille en vitesse et n’aie pas le temps d’écrire, ou encore je dors mal et je ne note rien pendant un jour ou deux. Je perds alors mon momentum et n’arrive plus à me rappeler de ce que j’ai créé durant la nuit. Plusieurs jours, semaines passent, et je n’écris plus rien le matin, ma tête au réveil est vide d'autres pensées que celles de la journée. Enfin, quelques bribes survivent au passage de la nuit au jour, je les attrape et les dépose sur une feuille, et c’est reparti pour un tour.

J’ai des centaines de rêves répartis dans une dizaine de cahier. Quand je les relis, la plupart n’ont aucun sens. Pourtant, je me souviens qu’en les écrivant, ils semblaient cohérents, et j’ai de vifs souvenirs d'avoir penser à mon réveil de certains d’entre eux qu'ils étaient extrêmement intelligents et complexes. Bien sûr, il s’avère presque toujours que ce n’est pas le cas.

Il y a pourtant quelques-uns de mes rêves qui méritent une vie propre, en dehors de mes cahiers poussiéreux. Ils sont révélateurs de quelque chose, ont une structure narrative quelconque ou représentent une émotion précise.


Les Sept lunes

Je suis dans un SkyTrain qui zigzague en suivant la côte. L’océan à ma gauche, je suis en transit, mais l’endroit où le train passera dans un instant est ma destination finale, car dans le ciel s’alignent sept lunes de différentes tailles, et tout un coup, elles tombent.

C’est la fin du monde, mais tout ce qui m’importe, c’est que je me sens tomber avec elles. Je suis sept lunes, je suis la fin. Le ciel bleu tourne au orangé. Protégé par la vitre du train, je vois les lunes qui s'abîment dans l'océan. Autour de moi la panique, mais je suis l'oeil du cyclone et reste imperturbé, je profite seul du spectacle.

Ce rêve, vieux de plus de 10 ans, est encore ce vers quoi je me tourne pour penser au sublime.


L’Après mort

Je rêve que je regarde un film, seul, au cinéma, puis je rêve que je suis dans le film, et que je suis dans une salle remplie d’écrans. Chaque écran est une vie et il y en a des millions, des milliards, qui brillent, tout petits devant moi. Je suis dans une salle close que je sais être protégée par des barricades de fer, de bois et d'os. C’est une sorte de lieu sacré, un sanctuaire contre ce qui approche, ce sera le dernier endroit protégé.

Maintenant, les lumières des écrans s’effacent les unes après les autres, les vies s’éteignent paisiblement sur les écrans et celles qui restent prennent plus de place. Je sais que plusieurs vont essayer d’entrer dans le sanctuaire pour être à l’abris de la mort douce et programmée, mais les barricades tiendront. Ceux qui tentent de passer n’auront pas le temps d'entrer avant que leur écran ne devienne noir.

Bientôt, il ne reste plus rien qu’une seule scène, un tableau qui s'étend à tous les écrans. Une femme dans un environnement lumineux est sur le point d’accoucher, entourée de son mari et de quelques autres personnes. Bientôt, ce sera tout ce qui restera de nous. Je ne me trouve pas sur les écrans, c'est la protection du sanctuaire. Devant moi, un voile translucide s'ouvre sur un néant blanc.

Je sais que cette scène par elle-seule rachète la mort de tous, ma mort. J’avance dans la lumière blanche et je rejoins la chaleur, à temps pour rendre . Comme le reste de l’humanité je suis ressuscité par cette naissance.

Très loin de là, dans une salle de cinéma vide, des larmes de joie coulent le long de mes joues.

Ce n’est qu’aujourd’hui que je réalise toute la symbolique chrétienne derrière ce rêve, mais je sais qu’il tire plus ses sources dans les images de The Matrix Reloaded que de la Bible. La fin du monde, ou plutôt du monde tel qu'on le connait a une place importante dans les rêves de mon adolescence. 


Le Démon sous le patio

Un des rares cauchemars dont je me souvienne des détails. C’est le soir et je reviens chez moi. Je vis encore chez mes parents dans leur maison de Stoneham, je sais qu’ils y dorment, ainsi que ma sœur Gaëlle. Sur le patio gisent quelques planches de bois. Je pose le pied sur l’une d’entre elle par accident et elle grince sur les autres planches : d’abord un son court, grave et creux alors qu'elle s'abaisse, puis un son plus long et plus constant, un raclement, alors que mon pied se retire.

Le bruit m’intrigue, alors je le reproduis, j’entends : « Ghaäaä… …Èeehèehèehèehèeh. Ghaäaä… … Èeehèehèehèehèeh. » J’enlève et repose mon pied encore et encore, j’ignore pourquoi, mais une sensation de peur se referme sur moi comme un étau de glace dans la nuit d’été. Encore, plus vite : « Ghaäa… …Èeeehèee. Ghaäa… …Èeeehèee. » J’accélère la cadence, « Ghaä… …Èehee. Ghaä… … Èehee. » Ce n’est pas le son d’une planche qui racle et je le sais! « Ghaä… …Èehee. Ghaä… … Èehee. » Le son se produit maintenant de lui-même au rythme de ma peur plutôt que celui de mon pied! « Ghaä… …Èehee. Ghaä… … Èehee. ». Ce n’est pas un son, mais une voix! et je reconnais le nom que la voix articule! C’est « Ghaa... eeelle! Ghaa... eeelle! » Ce n’est pas moi qui faisais bouger la planche plus vite sur le patio, mais la créature en dessous des planches, en dessous de mes pieds qui sentais ma peur et qui s’en nourrissait! « Gaëlle! Gaëlle! » Le démon sous le plancher se nourrit de ma peur! « GAËLLE! GAËLLE! » Il ne me laissera pas tranquille tant qu’il ne l’aura pas mangé! « GAËLLE! GAËLLE! GAËLLE! » LE DÉMON VA SORTIR ET IL VA TUER MA PETITE SŒUR.



Ces rêves ont eu un effet assez puissant sur moi pour que je les cherche plutôt que les retrouve par hasard. D'autres que j'ai retrouvé dans ma quête de rêves m'ont surpris, mais je me rappelle de la majorité lorsque j'en vois les grandes lignes. Je continuerai sûrement l'exploration de ces cahiers dans l'avenir. 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire