jeudi 16 août 2018

5. Choix et paralysie, un essai

À la base de tout acte artistique se trouve un choix, et inversement, tout choix peut devenir un acte artistique. Il va alors de soi qu’avec une intention constante, une vie entière saurait devenir une œuvre.

Mais nul n'a le temps de peser pleinement chaque choix, cela reviendrai à figer notre vie à chaque pas. Nous avons besoin de spontanéité, nous ne pouvons pas ingénier notre existence sans que nos vies ne perdent leur beauté et éclat. Pour tous ces choix pour lesquels nous n’avons pas le temps de réfléchir, nous ne pouvons nous fier qu’à l’intuition, la chance et l’entraînement. Or, la chance n’est pas fidèle et l’intuition peut être trompée par les événements. Une formation, bien qu’aucune ne soit parfaite, saura nous pousser vers les bons choix avec une certaine régularité. Toutes options considérées, il est donc préférable de faire de l’excellence une habitude plutôt qu’un acte (1).

Mon expérience des choix et de leur importance me vient surtout de la fiction. Nous retrouvons, bien sûr, de grands choix qui ont changé notre histoire, mais c’est par l’imagination des auteurs que l’on peut décrire au mieux de grandes conséquences aux petits actes. La fiction peut donner la connaissance complète des ramifications d’un choix, autant à l’audience qu’aux personnages. Par exemple, dans Mr Nobody (2), un enfant est confronté à un choix impossible, partir avec sa mère ou rester avec son père. En un instant, il imagine tous ses futurs possibles et les explore, conscient qu’il ne peut se figer sur place car cela reviendrait à abandonner son choix aux circonstances : à rester sans avoir choisi de rester. La paralysie est la réaction de défense la plus naturelle face aux choix, mais elle ne nous défait pas de nos responsabilités. Elle laisse plutôt à d’autres et à notre environnement le soin de décider pour nous.

Le monde dans lequel je suis né se nourrit de cette paralysie. Rien ne lui fait plus plaisir que l’inaction d’un jeune adulte prisonnier d’un système de choix (instauré précisément pour augmenter la liberté des individus). Les idéaux sur lesquels notre civilisation a été bâtie, le respect de toute vie humaine, la compassion et la promotion de l’équité, ont muté notre société en une où nul n’a à penser pour survivre. Tant de choix s’offrent à nous que nous ne pouvons nous plaindre d’un manque de liberté, même si nous savons que quelque chose cloche. Les rouages que nous avons mis en place pour nous aider forment un système, et tout système peut être exploité. Dans le cas présent :

  • Des choix sans importance sapent notre énergie et accaparent notre temps. 
  • Devant trop de choix, nous paralysons, et devenons soit passifs, soit susceptibles à la suggestion. 
  • Les choix d’importance sont maintenant laissés à notre discrétion (3) sans que nous ne soyons formés ou poussés à choisir. 
Ces rouages tournent maintenant d’eux-mêmes sans reconnaissance des buts dans lesquels ils furent instaurés, dans le déni des forces qui les mirent en place.

J’aimerais pointer vers le super-criminel, le maître-gourou, la cabale toute-puissante et dire le voici, ceci est l’ennemi à abattre, mais je n’en trouve pas. Je vois des investisseurs désireux d’augmenter leur marge de profit, des présidents anxieux de la compétition, des ingénieurs cherchant à améliorer leurs produits et des employés luttant pour nourrir leurs familles. Enlever quelques individus du groupe ne changerait en rien la maladie qui ronge le monde où je suis né. D'autant plus que nous nous œuvrons à des échelles jamais égalées dans notre histoire, considérez ceci : Si Facebook augmente notre temps d’utilisation d'un seul pourcent, ça représente 17 000 années de contenu par mois
 (4). Près de vingt milles ans sur ce site seul qui seront consommées de plus chaque mois par l’espèce humaine (qui n’a sans doute rien de mieux à faire). 


Je n’ai de leçons à donner à personne de ce côté, je lutte contre ces petits démons qui me hurlent « RESTE! RESTE QUELQUES SECONDES DE PLUS! » à chaque fois que j’ouvre mon ordinateur ou mon téléphone. Je vois les tactiques qui cherchent à m’emprisonner, et je tente de me désensibiliser à ces dernières. Pour ce faire, une stratégie me donne aujourd’hui des effets non-nuls : Je me fais violence pour ne pas marcher sans intention. Si je prends la responsabilité pour chaque heure que je perds, je la prends également pour chaque heure que je gagne. Je les gagne en recherche, en écriture et en photographie. Pour ne pas succomber à la passivité, j'imagine une œuvre et essaie de la bâtir sans répit. Et vous qui lisez ces lignes, en êtes un peu mes témoins (5). 




  1. William James Durant: “…excellence, then, is not an act, but a habit.” 
  2. Mr Nobody a longtemps été mon film préféré, il garde une place spéciale dans mon cœur. Je le ramène ici parce que soit j’utilisais Mr Nobody comme exemple, ou c’était Dune et je l’ai déjà mentionné deux fois en cinq textes sur ce blog. 
  3. Pour la plupart d’entre nous, nous avons le droit de choisir tout : Notre religion, l’expression de notre sexualité, notre métier, notre philosophie de vie, nos valeurs, etc. Tout cela était impensable il y a quelques siècles. 
  4. Avec deux milliards d’utilisateurs et une moyenne d’utilisation de 6 heures et 45 minutes par mois, une augmentation d’un pourcent équivaut à 17000 années d’utilisation. 
  5. Pour la photographie, je publie chaque jour ici: https://www.instagram.com/yannaudin/

3 commentaires:

  1. Cher ami,
    Mon choix n'est pas un acte artistique; je choisis simplement de te remercier pour ce texte enrichissant l'âme et l'esprit, qui suscite la réflexion sans complaisance. Je suis éblouie par ton architecture des mots qui construisent des phrases édifiantes.
    Une admiratrice fidèle, une vieille amie séparée par le temps et la distance ''de là à de là''

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  2. P.S.: merci aussi pour la photo du beau minou,tu combles l'ailurophile en moi!

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